“Une Monnaie” versus “Des Monnaies”
Aristote définissait la monnaie par ses trois fonctions. Unité de Compte, Réserve de Valeur et Intermédiaire des Échanges. Cette définition fonctionnelle est encore retenue par la théorie économique aujourd’hui. Elle a toujours inclus la nécessaire garantie d’un pouvoir central qu’on assimile à l’État.
Ainsi, la monnaie a toujours été un outil de souveraineté, chasse gardée des états-nations, à l’exception de l’Union Monétaire Européenne par exemple qui partage une monnaie mais n’est ni un Etat, ni une Nation. Ce premier contre-exemple prouve que tant qu’on a une banque centrale forte, le pouvoir central de garantie n’a pas besoin d’être un État au sens politique du terme.
La révolution des NTIC n’a pas épargné la monnaie. Le récent boom puis la correction des crypto-monnaies, certes accompagné d’une bulle d’hyper-spéculation, prouve qu’il n’y a pas de total monopole étatique sur la monnaie et qu’une décentralisation à des Tribus est envisageable, au moins dans des cas particuliers. On appellera Tribu un groupe cohérent d’individus partageant des échanges économiques et sociaux dans un espace défini. L’État-Nation est donc par exemple un sous ensemble de ce que nous appellerons “Tribu”.
“Décentralisation” versus “Décentralisation”
On peut différencier deux sens du terme “décentralisé”.
Premièrement, la décentralisation au sens de la blockchain. Il n’y a plus de hiérarchie entre un ordinateur central et tout un réseau de machines ou terminaux répondant à cet ordinateur central. Le maillage est horizontal et on n’a plus de repère central.
Deuxièmement, la décentralisation “au sens mitterrandien”, c’est-à-dire que des repères centraux décisionnels existent toujours mais qu’il n’est plus à l’État mais par exemple au département. Dans cet exemple, le département reste Roi en ses terres, mais on a déconcentré la prise de décision.
L’État a jusqu’aujourd’hui maintenu un monopole de battre monnaie. Les États indexant leur monnaie sur une monnaie qu’ils ne maîtrisent pas (le Franc CFA par exemple) gardent une dépendance envers leur monnaie suzeraine, et la politique monétaire de l’État qui maîtrise la monnaie sur laquelle ils s’indexent.
A la fin du XXème siècle, on a vu les États Occidentaux perdre de plus en plus de pouvoir, avec notamment la prise en main par le privé d’un certain nombre de ses attributs monopolistiques : éducation, santé, sécurité. La monnaie n’échappera pas à cette perte de contrôle par l’État et chacun pourra demain gérer sa monnaie de manière locale et autonome (à condition que celle-ci soit échangeable à l’extérieur de la Tribu).
En réalité, les monnaies décentralisées et privées ont toujours existé dans des écosystèmes restreints où les monnaies traditionnelles ne remplissaient pas leurs fonctions. C’est la monnaie de cuivre pour les échanges locaux sous l’empire romain, le collier-bar du Club Med, les jetons de festival, etc… Les raisons qui poussent certains groupes d’individus à adopter une monnaie privée sont diverses. Elles peuvent être opérationnelles, financières, marketing, affectives, sociales, techniques, sécuritaires…
“Universalité” versus “Utilité”
Les monnaies étatiques sont par hypothèse toutes universelles (directement ou indirectement), tandis que les monnaies décentralisées sont toutes à usage spécifique et restreint. Universalité et Centralisation : c’est le jeu de la poule et de l’oeuf.
- Une monnaie étatique se doit d’être changeable, garantie par le tiers centralisateur, être une réserve de valeur. L’État fort doit donc tout faire pour que sa monnaie soit universelle afin d’asseoir son monopole dessus.
- A l’inverse, une monnaie décentralisée doit servir à des usages spécifiques là où la monnaie universelle n’apporte pas, peu ou plus de valeur. La seule raison d’être d’une monnaie décentralisée est de venir compléter la monnaie étatique là où cette dernière n’est pas efficace. Par définition, elle se positionne sur un usage spécifique au sein de la Tribu.
Les fonctions aristotéliciennes de la monnaie restent valables (la fonction d’intermédiaire des échanges étant souvent prépondérante), cependant on ne définit plus la monnaie par ces trois fonctions mais plutôt par l’utilité qu’elle va apporter au sein de la Tribu.
De nombreuses tentatives ont été faites pour recréer des écosystèmes décentralisés en période de crise, dans des régions identitaires ou avec les NTIC:
- Les monnaies locales complémentaires (monnaie non soutenue par un gouvernement national) sont destinées à favoriser l’économie locale. Elles sont souvent appuyées par les commerces et services de proximité. (Wörgl dans les années 30, en Argentine pendant la crise des années 2000, Eusko au Pays Basque)
- L’apparition de la technologie Blockchain a permis l’émergence du phénomène de crypto-monnaie mais qui n’arrive pour le moment pas à trouver d’usage fort. On reste sur des écosystèmes gigantesques de monnaie scripturale où c’est le collectif qui garantit la monnaie, et où on pense uniquement au renversement du système plutôt qu’à une complémentarité d’usage.
De nombreuses initiatives se développent ces dernières années dans les monnaies décentralisées privatives. Ce n’est pas le collectif qui garantit la monnaie (comme pour le bitcoin) mais un opérateur local, le chef de la Tribu, qui joue le rôle de l’État.
L’opérateur gère alors son territoire comme une banque centrale privée. De même que la BCE est un chef de Tribu supra-étatique, un patron de camping est un chef de Tribu sub-étatique.
“Indexation vers l’Extérieur” versus “Autonomie à l’Intérieur”
Afin de garantir les fonctions d’Aristote, il est nécessaire de faire en sorte que la monnaie privée soit changeable. Mais parce qu’elle n’est pas universelle, le pragmatisme veut qu’on l’indexe sur une monnaie universelle.
Le chef de Tribu peut reprendre en main l’intégralité de sa politique en interne au même titre qu’un État gère sa politique monétaire. Les schémas sont simplifiés, les seules échanges avec l’extérieur se font avec un cours paritaire sur une monnaie universelle de référence. Le chef de Tribu peut ensuite avoir une gestion autonome de sa monnaie, ce qui est possible grâce à la parité qui garantit la souplesse.
Des règles de ce type peuvent être mises en place par le chef de Tribu :
- 100 € échangés/chargés → 110 unités de consommations disponibles
- 5 % de réduction à cet horaire ou sur ce point de vente
- Cash back en unités de consommation non ré-échangeables avec l’étalon paritaire
- Remboursement du solde restant uniquement si moyen de paiement pour rechargement était par carte bancaire
C’est le cas des initiatives de monnaies locales complémentaires, du collier à boule du club med, ou des systèmes cashless déployés par PayinTech. Le seul parti-pris spécifique qui est mis en place par PayinTech est l’interaction physique réelle. PayinTech ne se concentre pas sur les échanges digitaux mais bien au commerce réel.
On dématérialise les paiement et on re-matérialise l’expérience.